Les résidences
Le principe d’une résidence telle que nous les avons pratiquées est simple : il ne s’agit pas d’un temps dédié aux tests de prototypes ni aux discussions sur les démarches éditoriales. Il ne s’agit pas non plus d’une résidence de production ou de diffusion, comme on peut les pratiquer dans d’autres domaines culturels. Il s‘agit plutôt d’un temps de prise de recul sur nos pratiques d’auteurs et d’autrices, sur le milieu ludique, et sur le jeu de société en tant qu’objet culturel. Une seule règle : chacun-e doit préparer en amont un atelier de 30-60 minutes qu’il ou elle proposera aux autres participant-es. Cet atelier doit permettre de réfléchir sur un aspect de notre pratique, sur nos intentions de création, sur la vision que nous avons de notre média. Ces ateliers peuvent prendre des formes très diverses : un exposé plutôt théorique, la présentation d’un ouvrage ou d’un auteur qui peut nourrir la réflexion, un débat collectif, un jeu de rôle où on joue des auteurs et des éditeurs, un temps de création de concepts de jeux avec un axe expérimental, voire un éloge de la micro sieste, pratique à l’appui ! De prime abord, préparer et animer un atelier peut sembler intimidant ou laborieux, mais dans les faits il s’agit de moments informels où chacun est bienveillant et de bonne volonté. Les quelques journées qui composent une résidence sont ainsi rythmées par ces ateliers.
Véritable outil d’éducation populaire, ces résidences permettent aux auteurs et autrices participantes d’être à la fois émetteurs et récepteurs de savoirs, de faire du commun de leurs différentes réflexions. Elles sont un outil d’émancipation pour des auteurs aux conditions professionnelles très souvent précaires, et dépendants de la filière commerciale pour légitimer leurs créations – elles permettent de remettre en perspective la valeur et le sens de leur travail. Une résidence est un outil qui peut-être mis au service de tout collectif d’auteurs désireux de prendre un peu de recul sur sa pratique de création, sur les enjeux de son média. Par exemple, le GRAL (Gang Rennais d’Auteurs Ludiques) s’est déjà emparé de cette formule de résidence au printemps 2024, et celle-ci a connu un franc succès, au point qu’une nouvelle est déjà prévue en juin 2025. A qui le tour ?
Les résidences & le Manifeste métaludique
Le Manifeste métaludique et les résidences sont les deux faces d’une même ambition : fédérer les auteurs et autrices de jeux de société autour de principes forts et d’une vision commune du média et de ses enjeux, pour questionner collectivement la démarche de création et ses impacts culturels.
Cette ambition a émergé d’une première rencontre dans l’Ain en juin 2023 entre cinq auteurs : Juan Rodriguez, Antonin Boccara, Henri Kermarrec, Julien Prothière et Laurent Escoffier. Pendant trois jours, leurs échanges sur le milieu du jeu de société et sur le jeu en tant qu’objet culturel ont progressivement fait naître la volonté de faire une déclaration d’intention, sous la forme d’un manifeste énonçant les principes et la vision partagée par ces auteurs. Dans le même temps, pour mettre en pratique ces principes de manière concrète, les cinq auteurs se sont mis d’accord sur la nécessité d’élargir le groupe à d’autres personnes et d’inscrire ces rencontres dans la durée, sous la forme d’une résidence, en s’inspirant des « week-ends du gai savoir” pratiqués par Antonin Boccara et ses proches depuis plusieurs années.
C’est ainsi qu’en novembre 2023, s’est tenue notre première résidence en terre drômoise (cf. cet article de Ludovox). Soutenu-es par l’association locale Ludicoop, nous nous sommes retrouvé-es à 9 auteurs et autrices. Dans le cadre du projet « Adopte un jeu » organisé par l’association Ludicoop, nous sommes intervenu-es en matinée dans des établissements scolaires partenaires du projet, afin de présenter nos métiers d’auteurs et d’autrices de jeu, et/ou de faire jouer à nos créations.
Les après-midis et les soirées étaient dédiées aux ateliers d’échanges de savoir. Ces ateliers ont permis d’aborder des sujets variés (le jeu comme reflet de son époque à travers l’histoire, les liens entre jeu et psychanalyse, le jeu et la critique ludique, l’impact neutre ou positif des jeux sur le vivant, etc.) via différents formats (conférence, atelier participatif, production d’écrits, débats mouvants, etc.). Ces moments de partage ont nourri notre réflexion personnelle et collective et fait émerger de nouvelles questions.
Outre les ateliers, cette deuxième résidence a permis de se mettre d’accord sur la forme du manifeste qui, de toute évidence, devait être ludique.
Enthousiastes à l’issue de cette semaine de résidence, nous en avons donc organisé une deuxième en septembre 2024 dans le Lot. Cette résidence nous a permis de discuter autour d’une conférence intitulée « briser les codes du jeu de société », de vivre un temps de repas insolent, de réfléchir sur la mutualisation du matériel des jeux de société par un exercice pratique, d’imaginer des pratiques ludiques sur les temps de dédicaces, etc.
Nous avons aussi mis à profit cette résidence pour nous mettre d’accord sur la forme et le contenu du Manifeste métaludique afin de finaliser sa rédaction, qui a par ailleurs nécessité plusieurs réunions de travail à distance avant et après chaque résidence.
Notre but est de conserver chaque année un temps pour une résidence, avec de nouveaux participants, de nouveaux ateliers, de nouvelles thématiques, afin de poursuivre cette intention de remettre en question nos pratiques, et de faire évoluer collectivement nos réflexions.
Nos résidences ne sont pas une référence absolue. Chaque collectif est libre de s’approprier leur format comme il le souhaite pour mettre en place localement sa propre résidence. Sous un aspect intellectuel, les résidences sont aussi et avant tout un moment convivial, informel, où chacun-e apporte quelque chose à l’ensemble du groupe (par exemple, des bières). N’hésitez pas à nous contacter si vous voulez des conseils ou des informations !